Tuesday, October 23, 2007

La richesse thématique chez Enki Bilal

Il était grand temps pour un interlude B.D., étant donné la passion de l'auteur de ce blog pour le 9ème art d'une part (il est d'ailleurs bizarre que cela n'ait pas été fait plus tôt), et le statu quo terriblement ennuyeux dans lequel patauge la politique libanaise actuelle de l'autre. Pour ce premier interlude sur un sujet aussi important, je vais démarrer avec force en choissant un grand auteur: je pense qu'il n'est plus besoin de présenter le génial Enki Bilal, dont le graphisme exceptionnel, qui fait de chacune de ses cases un tableau en soi, n'a d'égal que l'imagination débridée dans des récits totalement inédits. Nombre de gens considèrent sa nouvelle trilogie, celle qui commence par le «Sommeil du Monstre» (en fait une tétralogie, et il faut reconnaître que son graphisme y a atteint un degré de maîtrise hallucinant) comme ce qu'il a fait de mieux, mais je persiste à croire que son chef d'oeuvre reste incontestablement le premier volume de la trilogie Nikopol: «La Foire aux Immortels». Cet album est tellement formidable, tellement riche de sens et d'idées insolites, qu'il mérite qu'on s'arrête dessus quelques instants pour évoquer certaines possibilités d'interprétation, qu'un lecteur non averti aurait pu ignorer totalement.

1- Les allusions politiques:
Il s'agit dans cette histoire, de divinités égyptiennes immortelles acculées à acheter du pétrole à un chef d'Etat humain gouvernant une nation faible, pauvre et totalitaire (en l'occurrence la France du futur). Nous ne pouvons ne pas penser à une analogie avec le monde géopolitique actuel, où les grandes puissances industrielles négocient avec des Etats plus faibles le prix de leurs matières premières dont elles dépendent (la France devant faire partie, en réalité, des divinités égyptiennes et non pas l'inverse... jusqu'à nouvel ordre), mais en leur refusant toutefois l'accès à un statut de nation égale (voir extrait). Ainsi Horus, qui fait sécession avec la communauté des immortels, et manipule un pion humain (Nikopol) en le poussant à renverser le pouvoir en place à coups d'assassinats politiques (mais c'est l'histoire du Liban qu'on raconte là!), agirait à l'instar de services secrets rattachés à une grande puissance (KGB? CIA?...) et se moquant des conventions de conduite Onusiennes.

2- La reconquête de sa sexualité:
Au risque de passer pour un fanatique de Freud, je vais me lancer dans une interprétation psychanalytique du sujet, puisqu'à mon avis, cela s'y prête parfaitement; de quoi parle l'histoire au juste? D'un homme «faible», un soldat pacifiste condamné pour désertion, qui va soudain, grâce à une intervention surnaturelle, provoquer un coup d'Etat et reprendre le pouvoir des mains d'un dictateur. Sa première apparition le montre amputé d'une jambe, abattu, symboliquement castré; et c'est l'union avec Horus qui va lui rendre sa puissance. Cette alliance est donc un palliatif qui compensera la perte de son identité sexuelle, comme la jambe en acier remplace celle qui manque.
Ce thème se retrouve également dans la nouvelle trilogie (la similitude entre le personnage d'Optus Warhole et celui d'Horus étant d'ailleurs indéniable; tous les deux génies du mal, et où l'un prend possession d'un corps humain, l'autre le synthétise). Le manque à pallier pour le protagoniste principal de cette histoire est la mort de son père, tué par un franc-tireur. Le monstre qu'il imagine et qui prend possession de sa personnalité est alors, à l'instar d'Horus, le moyen artificiel de vaincre cette amputation psychologique. Cette case gribouillée et insolite, balancée au beau milieu de l'histoire, est assez significative parce qu'elle résume bien le drame vécu par le héros.

3- Le désespoir au final:
Pour en revenir à la Foire aux Immortels, le plus émouvant dans cet album c'est l'aboutissement, qui devait immanquablement être sombre. Une case que je trouve assez troublante est celle de la confrontation finale avec le reste des immortels (voir extrait): le couple Anubis et Bes n'est pas sans y évoquer pour moi une sorte d'image parentale. S'agit-il du jugement désapprobateur de la société face à la relation entre ces deux hommes (nous savons que l'homosexualité résulte souvent de l'absence d'identification avec le père)? Ce mélange de remords et de dépression est rendu plus tragique par un graphisme morbide, représentant des corps à la peau décomposée, une ville enneigée et polluée, des mutants difformes... Les dernières cases de cet album sont d'une beauté absolument émouvante.
Voilà, donc pour ceux qui n'ont toujours pas lu cet album, je les enjoins, avec une insistance exrême, de faire tout de suite un saut à la FNAC sans plus perdre une minute (car il est urgent de combler cette immense lacune culturelle), et d'acheter ce chef d'oeuvre littéraire absolu, digne des plus grands poèmes d'un Charles Baudelaire! Finalement je vais conclure ici ce billet, du moment que l'on s'est suffisamment étendu sur le sujet, en laissant pour une autre fois mes recommandations pour les 5 plus belles B.D. au monde...
A la prochaine, chers amis lecteurs!

12 Comments:

Anonymous Anonymous said...

Oberon,knowing you well and knowing your expertise and passion in the subject, I can't but take your word for it.
I hope I can find it in NY(although I highly doubt it)
Great post as usual...

9:20 AM  
Anonymous Anonymous said...

Bajour Oberon!
Je trouve les dessins de Bilal magnifiques mais je ne comprenais rien aux histoires, j'en suis restée à "la femme piège" à cause de ses cheveux bleus,mon idéal de beauté! ;o)
J'ai l'impression que Bilal s'est dessiné,il ressemble beaucoup à son héros.
Bon,si jamais yavait du PRATT dans tes bédés favorites,on sait jamais...
je fais un peu de promo: http://www.myspace.com/silvinapratt

http://profile.myspace.com/index.cfm?fuseaction=user.viewprofile&friendid=238261869

9:33 AM  
Blogger Unknown said...

très belle lecture de l'imaginaire de cet album, et surtout de la chute finale; l'un de mes thèmes préférés en littérature et au cinéma. pas besoin d'insistance extrême, j'achète. :o)

11:34 AM  
Blogger Oberon Brown said...

@Anonymous,
Try your best to find this album, and preferably get a french version; I'm sure you will love it (I also know your hardcore tastes, dude :) )
@Maquettes,
Là tu me précèdes; Hugo Pratt allait sûrement figurer dans mon top 5 de B.D., plus particulièrement le premier album de Corto Maltese, "la Ballade de la Mer Salée". Bon, tu m'envoies la page Myspace de la fille de Pratt, ce qui est génial (je ne savais même pas qu' il avait une fille), mais je ne vois pas comment ça peut me servir; je ne sais absolument pas quoi dire à la fille d'un demi-dieu...
@Bee,
Excellent investissement ma chère; et n'oublie pas la cuite qu'on va se faire dès que tu rentreras au pays :) !

3:41 PM  
Anonymous Anonymous said...

tssssssssss,Oberon,tu suis pas,c'est Azzura,ma potesse! ;o)))) Le deuxième lien c'est une association toute neuve qu'elle vient de créer pour défendre les oeuvres de son papa.Ouala!

12:16 AM  
Anonymous Anonymous said...

Oberon! Très forte ton analyse, tu connais bien ton sujet, ou alors t'es actionnaire chez Casterman! ;)
Mon Enki préféré reste Les Phalanges de l'ordre noir!

1:30 AM  
Blogger Oberon Brown said...

@M1,
Ah! Celui là je l'ai pas! Mais ça a l'air bien d'après ce que j'en google... Faudra le choper!
@Maquettes,
T'es pote avec la fille d'Hugo Pratt??? Waaaw! Dis donc... Est ce que je t'ai jamais dit combien je te trouvais magnifique, Maq? :)
Mais sinon, pourquoi l'appelles-tu Azzura? Elle ne s'appelle pas Silvina?

9:10 AM  
Blogger Unknown said...

lol c'est vrai qu'elle est MAGNIFIQUE. Moi je peux pas vivre sans elle. Mais elle, elle ne m'aime plus.

9:15 AM  
Anonymous Anonymous said...

Très cher Oberon,je n'ai que des potesses à mon image(pour un exemple,voir ci dessus)
et comme tu mérite,je t'en mets encore une couche:
http://lesailesdesanges.blogspot.com/

Sinon,c'est ton vrai nom Oberon,ou c'est un pseudo,hein,dis,hein?:o)))))

10:02 AM  
Blogger Oberon Brown said...

@Bee,
Je suis sûr qu'elle t'aime toujours, mais je parie que tu veux l'entendre te le dire ;)
@Maquettes,
Merci beaucoup pour ce lien inestimable :) ! Quant à mon pseudo (c'en est un évidemment), il a été inspiré par 3 oeuvres artistiques marquantes: la dernière histoire dans "Les Celtiques", palpitant recueil d'aventures du célèbre marin Corto Maltese, où les personnages du "Songe d'une Nuit d'Eté" prennent vie et se mettent à intervenir dans le destin des hommes; l'opéra "Fairy Queen" de Purcell, également basé sur cette pièce Shakespearienne; et enfin, les paroles de la chanson "Astronomy Domine" des Pink Floyd, dont je cite:
Jupiter and Saturn
Oberon, Miranda, Titania,
Neptune titan stars can frighten

10:47 AM  
Anonymous Anonymous said...

Oberon, je t'encourage vachement a pécho Les "Phalanges de l'ordre Noir", une atmosphère unique! j'aime bien "La croisière des Oubliés" aussi, parce que pour être honnête j'aime pas tout dans Enki!
Par contre, je voue un véritable culte a Blueberry (les cultissimes : Ok Corral, Le Spectre aux balles d'Or) et Corto Maltese (j'adore : Sous le drapeau des Pirates, la ballade de la mer salée, et tant d'autres)
Et moi aussi je connais Silvina ;)

11:41 AM  
Anonymous Anonymous said...

M1,ouais mais elle à dormi dans mon lit et là tu peux pas lutter mon pÔvre!
Moi mon idole c'est Gaston Lagaffe si ça interesse quelqu'un...
Bon,de quoi on parlait déjà.....?

12:19 PM  

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