Saturday, June 30, 2007

Interlude musical

Puisqu'on parlait de musique la fois passée, j'en profite pour vous faire découvrir une magnifique chanson de Blend, avec la participation de Natacha Atlas, cette jeune chanteuse juive palestinienne qui s'est fait connaître entre autres grâce à sa reprise orientalisée de «I put a spell on you», dans la bande son du film «Intervention Divine». Blend est à mon avis un des meilleurs groupes de rock underground beyrouthin: la simplicité et la beauté de leur mélodies souvent mélancoliques, l'authenticité de leurs paroles, leur rythmique impeccable et leur ouverture en général aux autres artistes (ils ont une autre chanson dans leur C.D. avec Rayess Beik, le rappeur de Akss es Seir) contribuent à les placer en tête de liste dans cette catégorie, et les rendre, à mes yeux, encore meilleurs que Soap Kills. Ces derniers, bien que plus médiatisés et plus prolixes, comptent beaucoup trop sur le charisme de la belle Yasmin Hamdan (qui, je dois le reconnaître, est une créature absolument ravissante) et pas suffisamment sur leur talent musical: ils tombent souvent dans le cliché, les paroles anecdotiques, les fioritures inutiles, à l'exception bien sûr de quelques bons tubes (dont «Cheftak», la chanson dans l'album du même nom). Mais je dirais qu'une grande partie du succès de ce groupe provient simplement du fait qu'ils chantent en libanais, et qu'ils ont peut être été les premiers à le faire sur fond de musique électronique: la belle affaire!... Le seul reproche que je ferais à Blend toutefois ce serait leur nom, un nom on ne peut plus bateau et insipide; et c'est d'autant plus décevant qu'ils portaient auparavent le nom sublime de «Leviathan», comme ce géant de la mythologie grecque qui devenait encore plus fort à chaque fois qu'il retombait par terre. De là à «Blend», appellation banale qui serait plus digne d'une marque de café, vous reconnaîtrez que c'est dommage...

Par ailleurs, je vous fais part aussi de ma dernière découverte musicale: un type qui s'appelle Beirut (malheureusement non libanais) et que je recommande très chaudement. C'est un jeune américain, ex-disciple de Lou Reed, qui s'est installé en Europe de l'Est, et dont la musique s'est imprégnée de sonorités balkaniques. Cela est surtout visible dans l'album «Gulag Orkestar» où le déferlement des cuivres, des accordéons et des tambours crée une ambiance de fanfare gitane à la Goran Bregoviç. Il paraît qu'il va faire un concert à Paris dans quelques semaines; donc avis à tous les français lecteurs de ce blog, c'est à ne pas rater!

Friday, June 22, 2007

Une fête de la musique Kusturicienne

Exactement comme je l'avais prévu dans le billet précédent, une grande partie des activités festives ont pris refuge sous terre. Les propriétaires du Basement, qui organisaient un concert à l'occasion de ce solstice d'été 2007, ont su tirer profit de l'angoisse latente chez les libanais, en ces temps troubles, et se livrer à une sorte d'auto-promotion éhontée de leur établissement, en insistant sur le fait qu'il soit enterré et donc sûr; en effet, affichée en gros caractères en fond de scène, la phrase «it's safer underground» semblait être le slogan de la soirée... Comme quoi l'esprit mercantile est bien imprégné dans nos gènes de libanais; nous arrivons toujours à trouver le moyen de retourner financièrement à notre avantage n'importe quelle situation, même le terrorisme.
Quoi qu'il en soit, le concert fut une grande réussite à mon avis, grâce notamment au talent des groupes sélectionnés, et peut être aussi à ce fond de souffrance tacite que les chanteurs arrivaient mal à cacher, et qui rend l'art en général plus authentique, plus vibrant d'énergie. D'abord il y a eu les groupes de rap libanais Katibé Khamssé (5ème division) et Kitaa B (Section B (comme Beyrouth)), qui ont servi au public un excellent Hip Hop libanais, sorti droit de la rue. Les paroles m'ont semblé engagées et brûlant d'actualité, mais malheureusement je n'ai pas pu déchiffrer tout ce qu'ils racontaient, peut être à cause de la réverbération excessive. Ensuite, ce fut le tour de «New Government», dont la musique m'a toujours épaté, avec des enchaînements d'accords d'une clarté digne des Foo Fighters: ils avaient ramené avec eux cette fois une femme à la voix puissante et typiquement Rock, et qui plus est, n'était pas mal du tout physiquement... Et enfin, le micro fut passé à Charbel Haber et les «Scrambled Eggs», et c'était le tour de la musique alternative à la Sonic Youth, la distortion marquée de la guitare électrique, les thèmes scandés et répétitifs...
Ce que j'ai toujours reproché aux «Scrambled Eggs» c'est de ne pas être suffisamment commerciaux: ils s'embarquent souvent dans des improvisations expérimentales parfois totalement inédites, ce qui donne des sonorités certes intéressantes, mais pas toujours grand public. A une époque, j'ai même craint une éventuelle influence de Mazen Kerbage sur leurs compositions, ce qui aurait été catastrophique! Ne se suffisant pas de produire des sons absolument inaudibles pour saxophone, il m'avait semblé que ce personnage aurait voulu contaminer les «œufs brouillés» avec sa tendance excessive à l'expérimentation et la dissonnance, ce qui aurait rendu Schonberg parfaitement harmonieux à côté de leur musique, mais le danger fut heureusement écarté.
Pour en revenir au Basement, j'ai donc dû quitter avant la dernière chanson des Scrambled Eggs, à contre-coeur parce que le concert était sublime. Dans cet abri aux airs de bunker, parmi des paumés de toutes sortes, des lesbiennes, des gothiques, des rappeurs, des créatures nocturnes en blousons de cuir que l'on ne croiserait jamais en plein jour, avec un air vicié par la cigarette et les vapeurs d'alcool je respirais à plein poumons un vent délicieux de liberté.

Tuesday, June 19, 2007

Les fêtards s'adaptent...

Si en traversant une Gemmayzé déserte par un samedi soir, vous vous dites tristement que les Libanais sont prudemment tapis chez eux à regarder bêtement la télé, eh bien détrompez-vous: ils sont en train de faire la fête, mais dans des endroits plus «sûrs». En effet, la vie nocturne Beyrouthine, endurcie par des années de guerres, d'attentats et de mauvaises surprises, a finalement su s'adapter à la situation actuelle. Par instinct de protection, une tendance récente chez les fêtards semble leur faire fuir les endroits ouverts, exposés à la rue, spécialement la rue Gouraud (au grand dam des Torino-philes et autres Godot-philes), surlaquelle débouchent une infinité de petites ruelles étroites et d'impasses mal éclairées, tout ce qu'il y a de plus louche et de plus menaçant par les temps qui courent... En discutant avec des amis quelques jours plus tard, je fus surpris d'apprendre que ce même samedi le Sky Bar était plein à craquer, et qu'on y prenait des réservations deux semaines à l'avance! Le Sky Bar, perché sur son toit-terrasse au sixème ou septième étage au centre-ville, et dont l'accès par ascenceur pouvait difficilement laisser passer des charges explosives, semblait donc l'endroit tout indiqué pour veiller l'esprit tranquille.
A la lumière de cette nouvelle découverte et à deux jours de la fête de la musique, on peut ainsi prévoir à l'avance les endroits où il y aura vraisemblablement de la foule; on pourrait même anticiper le degré de succès d'un pub, pour les quelques mois à venir, en fonction de son indice de sécurité: il est évident qu'un endroit comme le «Basement» (rien que par son nom celui-là) ou le «Club Social» sagement tapis sous terre, sont plus propres à inspirer confiance que tous ces endroits donnant sur l'axe principal de Gemmayzé, surtout le «Gauche Caviar» qui présente, outre sa façade complètement vitrée, le danger d'un certain isolement, étant loin du paquet formé par les autres. Si la situation se prolonge, les valeurs architecturales elles-même devront s'adapter à la nécessité du marché: les parois lourdes en béton ou en maçonnerie de pierres seront préconisées, le vitrage, l'éclairage et la transparence seront bannis...
Bref, contrairement aux apparences, la vie nocturne continue de battre dans les artères de notre capitale, aussi bien pour les locaux que pour les étrangers. Car pour ceux qui pensent que ces derniers ont fui notre pays comme la peste, eh bien qu'eux aussi ils se détrompent! Il reste plein d'étrangers ici, même s'il s'agit principalement de 3 catégories: 1- les aventuriers, qui recherchent le danger, l'inattendu qu'ils ne trouveront jamais en Europe; 2- les jounalistes, qui ont évidemment plein de boulot dans ce pays, et 3- les espions, pour les mêmes raisons. Ce qui fait que quelle que soit la catégorie à laquelle appartient cet étranger (ou étrangère), les touristes peureux et débonnaires ayant été filtrés, c'est forcément quelqu'un d'intéressant. S'il peut être les 3 à la fois, ça serait l'idéal!

Thursday, June 14, 2007

Insouciance salvatrice: 6 règles de survie.

("Pierre & friends", Batroun, 10 Juin 2007)

Afin de ne pas succomber à la tentation facile de quitter le pays, et de ne pas sombrer en même temps dans une dépression morbide en y restant, voici quelques règles de conduite qui se sont révélées efficaces, grâce à des années d'expérience richissimes en événements sinistres:
1- Penser le moins possible à la situation (plus que) dramatique du pays; faire l'effort sans cesse de trouver un exutoire au stress créé par l'inévitable exposition aux médias, omniprésents dans notre entourage. Passer une journée à la plage, aller déjeuner dans un de ces beaux restos libanais en plein air, faire des randonnées, ou alors simplement sortir à Gemmayzé, inviter ses amis à un dîner bien arrosé chez soi, etc. ... Un ami à moi qui travaille avec Fattal m'a affirmé un jour que pendant la guerre de Juillet 2006 les ventes d'alcool avaient doublé (ou triplé), ce qui prouve le recours généralisé à cette méthode, et donc son efficacité.
2- Pour sortir, choisir de préférence les lieux où il vient de se passer quelque chose: les terroristes frappent rarement au même endroit deux fois de suite, ce n'est pas l'imagination qui leur manque. Pour les autres endroits, se dire d'ailleurs que le danger étant le même partout (à Beyrouth, sur la côte, à la montagne, à la Bekaa, etc.), il est absolument inutile de se cloîtrer chez soi.
3- Eviter les sujets de conversation à propos des «théories de conspiration»: les libanais en raffolent, et ils peuvent passer des heures interminables à en débattre. Bien que ça puisse paraître divertissant au début, cela finit vite par devenir suffoquant et ça ne mène à rien du tout, à part des disputes certaines entre amis, des soirées gâchées et des nerfs à fleur de peau. Finalement peu importe quelles grandes puissances manigancent quoi, et nous ne sommes pas tous des Georges Tenet pour connaître les plans secrets d'espionnage et de contre-espionnage internationaux. S'en tenir aux faits et faire des affirmations simples lorsqu'on y est acculé, ou mieux encore changer de sujet.
4- Prendre l'habitude de ne pas faire chier les flics, et surtout les soldats, aux barrages, avec des inepties et des conneries de tout genre: ces pauvres bougres ne savent pas s'ils vont rentrer chez eux le soir en une seule pièce, ils sont débordés par toutes sortes de fanatiques armés jusqu'aux dents, de terroristes bourrés d'explosifs, de miliciens intouchables, de saboteurs, d'espions etc., et ils ont très probablement la gâchette facile (mettez-vous à leur place). Ce n'est donc vraiment pas le moment de faire le malin en jouant au citoyen soucieux de sa petite intimité et tyrannisé par un Etat fouineur. Ou alors, ne plus se plaindre comme quoi «les autorités ne font rien!». Il faut choisir.
5- Se dire qu'en émigrant, on aura le choix entre: soit un pays meilleur que le Liban (en termes de niveau de vie), et l'on y sera probablement un hôte indésirable, un «sale arabe», un étranger mal accueilli et mal intégré par les autochtones (si ouverts d'esprits soient-ils, ou prétendent-ils l'être); soit un pays pire que le Liban, et alors toutes les facilités professionnelles, financières et humaines qu'on y trouverait, ne contrebalanceront pas les défauts naturels de ce nouvel hôte. Donc en fin de compte, on ne sera nulle part mieux que chez soi.
6- Savoir que dans les pays calmes on meurt d'ennui. Le taux de suicide le plus élevé se trouve dans les pays d'Europe du Nord (genre Suède, Finlande, Norvège), exemples suprêmes de civisme, de réussite économique et d'équité sociale. A chacun ses problèmes...
Voilà, c'était donc quelques conseils pratiques pour mieux traverser cette période de crise qui semble s'éterniser. Si vous en connaissez d'autres, n'hésitez surtout pas à me les proposer.